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L'évacuation


Madame Mathilde Horville nous fait le récit de ce qu'elle a vécu à l'époque :


" Je suis partie de Bertangles le 20 mai 1940, juste avant que les allemands arrivent dans le village. J'étais avec une belle-sœur. Nous avons rencontré des soldats allemands à Saint-Vast… J'attendais mon premier enfant, j'étais enceinte de 8 mois. Je suis partie comme ça, sans rien emporter.
On a pris la route d'Aumale, et on a logé pendant une semaine dans une étable. Les allemands sont arrivés, alors on est repartis. En route, je me suis m'arrêtée aux Nouvelles Galeries, à Rouen, pour acheter quelques vêtements. Pendant les quinze jours de ce drôle de voyage, nous avons dormi dans des granges, parfois en compagnie des rats, nous avons mangé ce que les gens des villages traversés pouvaient nous donner.
En approchant de Chartres, nous avons échappé à un bombardement, mais la clinique dans laquelle j'aurais dû accoucher a été entièrement détruite. Nous avons continué notre route jusqu'à Josselin, en Bretagne (département du Morbihan), où les allemands sont arrivés en même temps que nous ! Mon premier bébé est né le 6 juin 1940, dans la maison d'un docteur. Je n'avais rien pour l'habiller, ce sont les châtelains de Josselin qui lui ont donné sa première layette. Pour son baptême, ils ont aussi offert les dragées. Les châtelains étaient de la famille des de Clermont-Tonnerre, de Bertangles.
Quelques semaines plus tard, nous avons pris la route du retour. Vers le 20 juillet, nous étions revenus à Bertangles. La vie a repris, mais plus rien n'était pareil : des maisons avaient été pillées, les allemands occupaient le château, des hommes du village étaient prisonniers et les restrictions nous compliquaient beaucoup la vie. "


D'autres personnes ont évacué vers d'autres lieux : Jeanine Crosato à Segré, dans le Maine et Loire.
" Nous sommes partis à pied par la route de Saint-Sauveur pour rejoindre Picquigny, où nous avons rencontré les allemands. Ma mère avait récupéré une poussette pour nous mettre dedans, ma sœur et moi. Après plusieurs jours de marche nous nous sommes arrêtés à Forges les eaux, en Seine maritime, pour nous reposer. Puis nous avons repris la route, toujours à pied, en dormant dans des granges ou dans des écuries, et en cherchant de la nourriture chez des particuliers. Nous sommes restés absents de Bertangles environ 2 mois.
Quand nous sommes revenus, la maison avait été pillée. Mes parents et les autres familles dans le même cas que nous ont fait une déclaration de dommages de guerre, pour toucher une indemnité et racheter un peu de mobilier. "



L’occupation de Bertangles


Dès le début des hostilités, le château de Bertangles est occupé par les anglais. Puis à partir de mai 1940, ce sont les allemands qui l'investissent. Les anglais y reviendront après le mois d'août 1944. Madame de Clermont-Tonnerre et sa fille, Mademoiselle Mickaëla de Clermont de Tonnerre, sont restées sur le domaine durant toute la période de la guerre, ainsi que Madame Lemée, cuisinière au château. Mlle. de Clermont-Tonnerre était infirmière et se dévouait sans compter auprès des habitants de Bertangles. Elle exerçait la surveillance des femmes en couches (après la guerre de 39/45, elle deviendra convoyeuse de blessés durant les campagnes d'Indochine et d'Algérie)


Monsieur Henri Carpentier évoque ses souvenirs : " En 40, les allemands avaient installé des batteries dans le ravin autour du grand bois. Il s'agissait de canons tirés par des chevaux. Les soldats pompaient l'eau dans les citernes privées et dans les puits du village. En mai, il n'y avait presque plus d'eau, seuls deux puits continuaient à en fournir : ceux de la rue d'Amiens et de la rue du moulin. Les chevaux des allemands étaient regroupés dans une pâture (où se trouve aujourd'hui la maison de Mr. et Mme. Lambert). "

En 1943, des membres de la gestapo sont venus perquisitionner à l'école. Ils sont allés chercher Monsieur Gaëtan Secret, qui remplaçait le maire de l'époque. Il a refusé de suivre ces messieurs. En 1944, les allemands ont réquisitionné les chevaux, afin de fuir. Là encore, Monsieur Secret s'est opposé à cette réquisition : il a été enfermé quelques jours dans l'ancien presbytère.


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Le Rationnement


Dès que les allemands ont occupé la France, ils ont mis en place un système de rationnement des produits de première nécessité. Les secrétaires de mairie de l'époque, assuraient la distribution de tickets, qui permettaient d'obtenir des denrées alimentaires et d'autres produits indispensables.Tout ce qui composait la nourriture quotidienne était soumis au rationnement : le pain, la farine, le lait, la margarine, le beurre, la viande…tandis que d'autres produits, comme le café, le sucre, l'huile, étaient introuvables. Les quantités perçues étaient variables selon l'âge. Par exemple, les travailleurs de force recevaient 350g de pain/jour, les " J3 " (jeunes et enfants) percevaient 300g, les autres personnes devant se contenter de 150 à 200g de pain.
Toutes les récoltes étaient réquisitionnées. Madame Thérèse Dheilly, qui était enfant à cette époque, se souvient : " Tout le monde recevait une farine de mauvaise qualité, mais lorsque l'on pouvait acheter un peu de blé, on le passait au grugeoir ou dans le moulin à café, puis plusieurs fois dans un tamis. Je me rappelle de ma mère qui cuisait le pain le matin de bonne heure, en se cachant des allemands, car c'était interdit. "

Les bombardements à Bertangles


Entre 40 et 44, les " forteresses volantes " tournaient au-dessus de Bertangles, afin de se repérer par rapport au château et aux deux avenues (celle située devant et celle située à l'arrière).
Les pilotes identifiaient les quatre points cardinaux, avant de bombarder Amiens.

Dès que les gens entendaient ces engins volants, tout le monde laissait son ouvrage et allait s'abriter, soit dans le souterrain de la rue d'Amiens, pour ceux qui n'habitaient pas trop loin, soit dans les caves ou dans des tranchées creusées dans les jardins.


Madame Caron, dont la mère a été institutrice à Bertangles à partir de 1942, se souvient : " Lorsque l'alerte avait lieu en soirée, beaucoup d'enfants ne venaient pas en classe le lendemain ! Selon les époques, l'effectif diminuait ou augmentait : en effet, lors des bombardements du quartier St. Pierre, des familles venaient se réfugier au village pour quelques jours ou quelques semaines ; parfois il y avait jusqu'à 45 élèves dans la classe ! "
Dans le souterrain, la vie s'organisait pour quelques heures, parfois pour une nuit. Les hommes jouaient aux cartes, à la lueur des bougies. Les enfants s'amusaient, des couvertures étaient placées sur le sol afin de s'isoler de l'humidité. Quand les familles descendaient s'abriter, elles emportaient des victuailles, parfois quelques objets importants. Le souterrain comprenait 5 à 6 chambres, et une petite chapelle. Cet abri, dont l'entrée a été endommagée à la fin de la guerre, fut bouché un peu plus tard. Pourtant dans le compte-rendu du conseil municipal de mars 45, Monsieur le préfet demande à la commune de le remettre en service. Etant donné le peu de ressources dont dispose la commune, celle-ci ne peut commencer les travaux avant d'avoir obtenu une subvention…


Madame Viarteix nous raconte un épisode dramatique de cette période de guerre :

" Le bombardement du 31 août 1944, jour de la libération d'Amiens, a marqué les bertanglois. Ce jour-là, vers 18 heures, un obus a tué quatre personnes du village : Madame Marcelline Dubas, veuve de l'ancien charcutier du village, Madame Solange Leroy, couturière, et sa mère, Madame Maria Doublet, toutes trois habitant au 13 rue d'Amiens, et Monsieur Arthur Deparis, peintre-tapissier, mon grand-père, leur voisin du n°15.
Pendant la guerre, les allemands avaient installé des rampes de V1 dans une pâture en pente située le long du chemin d'Amiens, appartenant à Mr. Hoguet, cultivateur à Bertangles. De là, ils pouvaient tirer sur les troupes qui passaient la Somme. Le 31 août, des avions anglais ont survolé le village, pour faire des repérages. L'alerte a été donnée pour que les gens se mettent à l'abri. Un peu plus tard, des obus anglais, sûrement tirés du sud d'Amiens, ont visé les installations allemandes pour les mettre hors d'usage. Ils ont endommagé la maison de Monsieur et Madame Deflesselles (parents de Mr. Raymond et Gérard Deflesselles), rue de l'église, l'écurie de Monsieur et Madame Adrien Cavillon (parents de Thérèse Dheilly), et ont détruit la maison de mon grand-père située au 15, rue d'Amiens. Un cheval de l'écurie de Mr. Cavillon a d'ailleurs été blessé par un éclat d'obus.

Avant le bombardement, des bertanglois s'étaient abrités dans le souterrain de la rue d'Amiens, dont l'entrée se trouvait justement dans la cour de la maison de mon grand-père (ce souterrain avait été remis en état par des hommes de Bertangles au début de la guerre). Ceux qui habitaient plus loin s'étaient cachés dans des tranchées recouvertes d'une tôle, ou dans leur cave. Les trois dames du 13 rue d'Amiens, qui s'étaient d'abord cachées dans un abri de leur jardin, ont décidé de rejoindre le souterrain lorsque le bombardement est devenu plus fort. Un obus les a tuées dans la maison de mon grand-père. Celui-ci, qui sciait du bois, a été également tué ce 31août.

Quand nous avons pu sortir du souterrain, c'était la désolation et le chagrin… Autour de nous, tout était abîmé, les fils électriques étaient sur le sol. Il y avait des tuiles et des morceaux de verre partout. Le décès de ces quatre personnes, dont mon grand-père, nous a bouleversés. La joie de la libération et le deuil des familles se sont mélangés dans nos cœurs. Plusieurs personnes du village, même très jeunes en 44, se souviennent de ce jour tragique.

Quelques jours après le 31 août, il y a eu quand même bal au village, avec les soldats qui nous avaient libérés de l'occupant ".


Madame Rachel Viarteix se souvient que son père cuisait le pain dans le four de la ferme du château, pour des gens du village. " Avec des graines d'oeillette, les villageois essayaient de faire de l'huile ou de la moutarde. D'autres personnes ont même fabriqué du beurre avec du lait de chèvre ! Ma mère a aussi fait de la soupe au lapin ! " ajoute-t'elle.
Madame Any Caron a aussi des souvenirs de son enfance à Bertangles durant la guerre : " Le sucre était remplacé par de la saccharine ou par de la mélasse, sucrée mais amère, produite à partir des betteraves. Pour le café, il fallait se contenter d'orge grillée et de chicorée, fabriquée avec des racines d'endives séchées et grillées. La couleur du café, sans le goût et l'odeur… La bière était confectionnée à partir de sachets de " presto-boisson " ; dans les fermes on continuait à faire du cidre. Les rutabagas et les topinambours ont fait aussi leur apparition dans les menus. Pour compléter l'approvisionnement, insuffisant avec les cartes de rationnement, chacun se débrouillait : les jardins potagers et quelques volailles permettaient de varier l'alimentation. Ceux qui le pouvaient tuaient le mouton et le vendaient en morceaux. Parfois, des amiénois passaient à travers champs pour venir jusqu'à Bertangles : nous échangions avec eux du chocolat contre un peu de farine. C'était une période difficile, tout était soumis à restrictions. "
Pour s'habiller et se chausser, c'était pareil ! Une ou deux fois par an, la population recevait des cartes de textile, pour percevoir de la laine, des vêtements, de la " fibrane " (qui devenait raide comme du carton quand elle était lavée). En hiver, les enfants obtenaient une paire de souliers à semelles de bois avec du feutre au dessus, et l'été des souliers à lamelles de bois, articulées. Les hommes avaient droit à des bottes pour travailler.
Le savon étant également rationné, certaines personnes utilisaient une recette originale : soude, os de bœuf en poudre et cendre de bois, qui permettaient d'obtenir un savon qui ne pouvait servir qu'à laver le linge !